Comment bloquer un carrefour...
Oh ben c'est assez simple en fait: Le
feu passe au vert, pour vous, mais le carrefour est encombré...
Pas grave, on avance et on se place bien sur les damiers (qui sont
supposés indiquer la non-autorisation à l'arrêt...).
Oui, parceque si on avait pas avancé, un autre l'aurait fait
et aurait pris notre place alors bon... y'a pas d'raison... chacun
pour soi quoi... On est bloqué par une voiture, elle même
immobilisée sur le damier, et on va bientôt bloquer à
notre tour un autre véhicule qui voudra passer... C'est la
vie! Il attendra, on attendra. Il klaxonnera, nous aussi... et puis
voilà.
Tant
de temps perdu dans les embouteillages à cause de ces raisonnements
égoïstes... alors qu'avec un peu de bon sens, de civisme
et de respect d'autrui, la circulation pourrait être tellement
plus fluide... Laisser cette zone quadrillée (sur certains
carrefours) libre de tout véhicule... Ne JAMAIS s'y engager
si l'on voit qu'on va devoir y stopper... (imaginez par exemple que
ces damiers sont des plaques chauffantes: Si vous restez dessus, vos
pneus vont fondre... alors il faut juste y passer, mais sans jamais
s'arrêter...). Cela paraît pourtant si évident.
Dans toute grande agglomération, nous sommes confrontés
à ce problème: L'intelligence individuelle (je suis
plus malin que les autres, je passe avant, c'est la loi du plus fort...)
s'impose au détriment de l'intelligence collective, de l'intérêt
collectif... et de chaque intérêt individuel au bout
du compte, car chacun est ainsi perdant...

Lorsqu'on conduit dans Paris
(ou ailleurs) on ne peut pas conduire en se croyant simplement tout
seul (ça s'appelle aussi la vie en société!):
On est comme dans un flux, un courant de véhicules, et on a
tout intérêt à faire en sorte que le flux se disperse
sans blocage, sans bouchon dans les tuyaux que sont ces rues. On
doit conduire AVEC les autres et non CONTRE les autres... avec
une intention collective... et non pas juste personnelle. Alors
par pitié, pensez-y, au carrefour d'Alésia, de Saint-Michel
ou à n'importe quel carrefour qui est bloqué... Ne vous
engagez pas sur le carrefour si vous voyez que vous allez, à
votre tour, bloquer quelqu'un d'autre... Patientez un peu. De toutes
façons, tant que les damiers seront recouverts, vous n'aurez
pas le choix... et au moment de les recouvrir à votre tour,
réfléchissez sur les conséquences... Parfois
gagner cinq mètres fait perdre beaucoup plus.
Dimanche 11 juin
2017
Denfert Rochereau tout
le monde descend !
Non non, ce n'est pas un poisson d'avril... c'est la phrase que vous
avez du entendre depuis plusieurs jours, à l'arrêt Denfert
Rochereau en direction de la Porte d'Orléans! Elle
est dûe à une nouvelle manoeuvre de régulation
que la RATP "expérimente":
Désormais
les services partiels sont possibles dans les deux directions! Résultat:
il y a de moins en moins de services effectuant la ligne complète
de la Porte d'Orléans jusqu'à la Gare du nord... et
lorsqu'un bus a pris du retard durant sa course (en théorie
plus de 30mn) ou que la place d'Alésia est saturée,
on vous demandera gentiment de finir à pied. Bon, en fait on
vous dira de prendre le bus suivant évidemment, mais en pratique
celui-ci sera soit plein également (donc impossible à
prendre) soit il fera lui-même demi-tour. Voilà
une belle mise en image du "Rentre Avec Tes Pieds"...
;-)
Ces manoeuvres de régulation sont supposées
vous apporter une amélioration qualitative dans l'expérience
de votre voyage, en répartissant mieux les autobus tout au
long de la ligne et en diminuant ainsi votre temps d'attente aux arrêts.
Alors, en admettant que ce temps d'attente soit réduit (à
vous de nous le dire) encore faudrait-il que vous puissiez monter
dans le bus lorsque celui-ci arrive à votre arrêt...
et qu'ensuite vous n'ayez pas à en descendre à nouveau
pour en attendre un hypothétique suivant quelques arrêts
plus loin...
Nous, machinistes, comptons sur votre compréhension
et vous invitons, non-pas à vous plaindre de ces situations
à nous, qui n'y pouvons hélas rien et qui subissons
également les désagréments de telles manoeuvres
avec des temps de pause réduits et des fin de services systématiquement
en retard... (sans parler du stress de la confrontation avec vous
lors de l'incompréhension légitime que vous éprouvez)
mais auprès du service clientèle de la RATP en téléphonant
au 3424 ou bien en écrivant.
Merci de votre compréhension... et, comme
la RATP, soucieuse de sa bonne image auprès de vous, nous demande
de vous le dire: "à votre service!"
Samedi 1 avril
2017
Le sourire de Jean-Paul
Bus-boulot-dodo... c'est souvent le quotidien de beaucoup d'entre-nous.
les journées filent, les années passent, et se rend
compte toujours bien trop tard de tout ce temps passé, survolé,
sans y prendre garde, sans y prêter trop attention. On se croise,
on se dit bonjour, ou pas, et on file vers nos diverses obligations,
activités, devoirs... la tête baissée, le nez
dans le guidon, en regardant nos chaussures semblant s'agiter toutes
seules sous nos carcasses pressées et s'user sur le bitume
de la vie... en oubliant souvent le principal: regarder... vivre...
partager... aimer... et montrer à ceux qu'on aime qu'on les
aime... et sourire, même à ceux qu'on ne connait pas,
juste comme-ça, parce qu'on est en vie et qu'on a de la chance.
Ralentir un peu... se poser. Prendre le temps de regarder le paysage.
Oui, je sais, tout cela ce n'est que des mots. On n'empêche
pas le temps de filer. On peut tout juste se donner l'espérance
de moins regretter, un peu moins... en ne cachant pas,
moins, nos émotions... et en tentant de jouir de chaque instant
de notre vie, fut-elle dans les transports en commun... jouir de chaque
sourire, de chaque regard ou mot échangé avec son semblable.
La vie est courte... aussi courte que la portée de notre vue
certains jours... mais ce n'est pourtant pas faute d'être souvent
rappelé à l'ordre, alarmé, par certains évènements
de notre vie, ou autour...
Hier,
jour de Saint Valentin, j'ai appris, comme beaucoup de mes collègues,
la disparition de Jean-Paul. Bien que en roulement sur une ligne de
banlieue, sans doute l'avez vous aussi croisé parfois, au volant
du 38... C'était un garçon gentil et souriant, toujours
prêt à rendre service et à l'écoute des
autres. Investi dans son syndicat, il luttait également avec
abnégation et courage pour ses collègues et ses passagers
afin d'améliorer les conditions de travail et de transport.
Je garde le
souvenir, à chaque fois que nous nous croisions, de ce sourire,
dont je parle plus haut, ce regard bleu et malicieux, empli de bonté.
Ce n'étaient que quelques mots, échangés à
notre prise de service ou entre deux tours, quelques blagues, quelques
sourires... ces petits rien-du-tout mais qui font ce que la vie est,
qui enchantent le coeur et adoucissent certaines journées un
peu maussades... Ce n'étaient que quelques instants captés
au grand fil de la vie qui se dévide trop rapidement... mais
des instants qui resteront gravés dans ma mémoire...
et dans la mémoire de beaucoup d'entre-nous. Jean-Paul avait
sans doute compris tout celà depuis bien longtemps...
Aujourd'hui
je suis triste. Je ne croiserai plus ce collègue sympathique.
Je ne pourrai plus lui offrir mon sourire ni recevoir le sien... mais
son souvenir, c'est certain, appuiera mes sourires à venir,
mes échanges avec mes collègues et ma façon d'appréhender
la vie.
Merci Jean-Paul pour tous ces moments, même
furtifs, où nous nous sommes croisés et où tu
m'as offert ton sourire, à des moments où cela n'allait
sans doute pas fort pour toi... Aujourd'hui, nombre de tes collègues
et moi-même avons le coeur lourd... Puissions-nous perpétuer
ce sourire qui était tien, sur nos visages à nous...
et transmettre à notre tour, un peu mieux, autour de nous cette
bonté qui t'animait. En ton souvenir, moi, j'essaierai.
Repose en paix.
mardi
15 février 2017
Et si on essayait la
gentillesse?...
Nous le sentons, vous le sentez,
au quotidien, dans la rue, dans les transports, il semble règner
une ambiance de plus en plus dégradée entre les êtres
humains. On se croise, on se bouscule, on s'énerve pour des
détails qui n'en valent pas la peine, on s'invective, on klaxonne,
on se déteste sans réelle raison, valable. Oh des raisons,
chacun en a bien sûr... des raisons d'être énervé,
malheureux, triste, en colère... Chacun a ses propres problèmes,
ses peines, ses maladies, ses infirmités... et chacun se protège
ainsi comme il peut, des autres, en se renfermant dans sa bulle, cadenassant
son égo bien solidement sur le monde extérieur... jusqu'à
ce qu'une autre bulle cadenassée vienne se heurter à
la vôtre... et c'est le clash: le monde s'enflamme.
Comme tout le monde, au volant de mon bus, j'ai mes
humeurs. Certains jours tout va bien et il est facile de sourire et
d'être agréable (en tous cas les humeurs désagréables
de certains ne me touchent guère) et d'autres jours, moins,
mais depuis des années que je fais ce métier, j'ai remarqué
que la meilleure réponse à ce que j'ai pu considérer
comme des "agressions" extérieures (qu'elle soient
manifestées par des mots ou même juste des attitudes
déplaisantes) a toujours été le sourire.
Un sourire tout autant intérieur que de facade: Devenir
spectateur d'une situation négative et plus acteur...
Se mettre en retrait. Observer. Laisser celui ou celle que l'on considère
agresseur, défiler son agressivité et s'empétrer
tout seul dans cette situation.
Il ne s'agit évidemment pas là d'un
sourire moqueur et méprisant, mais plutôt d'un réel
état d'esprit de bienveillance qui sera interprété
différemment selon les interlocuteurs, et tant mieux. Souvent
une situation dégénère en raison d'un état
de stress vécu par chaque intervenant et qui s'alimente et
gonfle d'un nouveau conflit, si anodin soit-il. Laisser une chance
à l'intelligence de reprendre le dessus... et à la bêtise
de rester à sa place. Ne pas envenimer la situation, l'alimenter,
est une première source d'apaisement. Mais le vrai apaisement
pour moi, est celui que je vais ressentir, le soir, lorsque je vais
quitter mon volant pour rentrer chez moi: fatigué de ma journée
de conduite, mais pas stressé ou contrarié par des situations
mal gérées qui m'ont affectées. Je n'aurai plus
la boule au ventre à ressasser des évènements
négatifs et leur apporter une importance qu'ils ne doivent
pas avoir dans ma vie. Rien que pour cette raison je suis gagnant.
Je ne dis pas que c'est chose facile: c'est un réel
travail sur soi... mais qui est tout le temps récompensé,
lorsque j'y parviens. Il m'est même souvent arrivé dans
pareille situation, que la personne auparavant énervée
revienne ensuite vers moi pour conclure notre échange de façon
plus calme et sereine, amicale même parfois, voyant que j'étais
resté courtois. Si elle ne le fais pas, c'est elle qui garde
tout le stress, pas moi, en fin de journée.
Ainsi, nos bulles d'égoïsme, au lieu
de nous protéger, nous desservent souvent. Il est d'ailleurs
frappant de constater leur effet, notamment dans la circulation, où
chacun est pressé, chacun voulant rentrer chez soi ou aller
à son rendez-vous... mais, à un carrefour comme Alésia
(ou un autre, il y en a tant dans la vie...) il est souvent plus judicieux
de laisser passer les autres afin de libérer de l'espace et,
au final, avoir une chance de désengorger le carrefour. Mais
l'homme semble être ainsi fait que son intelligence individuelle
va au détriment de l'intelligence collective qui permettrait
pourtant, au final, de le servir... alors on s'engage sur le carrefour
bloqué, et on participe à notre tour à ce grand
bouchon inextricable... et on peste, on invective et on klaxonne celui
de devant, celui qui vous gêne, celui qui s'est engagé
sur ce carrefour avant vous et qui vous bloque le passage... et on
ne regarde pas l'autre, que l'on bloque à notre tour, et qui
nous klaxonne... aussi. Le carrefour d'Alésia est à
l'image de notre société, hélas.
Le monde se meurt de nos égoïsmes, de
nos bulles cadenassées. Arrêtons de nous bloquer les
uns les autres. Regardons-nous, sourions-nous... au delà de
nos differences, de nos races ou de nos appartenances politiques ou
religieuses. Arrêtons de construire des murs entre lesquels
grandit la haine et la souffrance. Personne n'y gagnera quoi que ce
soit.
Demain j'irai, comme Paterson, conduire mon autobus,
et j'essaierai de sourire à ceux qui me regardent, ceux qui
me voient. Je parlerai à certains, écouterai d'autres.
Ce sera un bon moment de ma vie, car je passe de nombreuses heures
chaque jour assis derrière mon volant et que c'est aussi ça
ma vie... alors autant que ce soit le plus agréable possible.
J'essaierai de ne pas bloquer le carrefour d'Alésia, résistant
aux incitations à m'y engager de certains de mes passagers.
Je leur ouvrirai les portes au feu rouge pour les laisser aller vociférer,
dehors. Je serai calme et courtois, enfin j'espère (je suis
un être humain) et continuerai de croire que la gentillesse
est une valeur que nous devrions davantage faire nôtre. En tous
cas, de mon côté, j'essaierai...
samedi 4 février
2017
PATERSON
(film de Jim Jarmusch)
"Paterson vit à Paterson, ville de poètes
(de William Carlos Williams à Allen Ginsberg)
dans une banlieue du New Jersey. Chauffeur de bus d’une trentaine
d’années, il mène une vie bien réglée
aux côtés de Laura, sa tendre épouse et
de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit
des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…"
Le quotidien d'un chauffeur de
bus, oh bien-sûr pas tous les chauffeurs, mais quelques-uns,
qui cachent sous leur vert uniforme bien propre, des talents insoupçonnés,
des passions secrètes. Le film parle de ça, et de bien
plus. Il est une métaphore de la vie qui passe, des doutes
et des rêves. Paterson conduit son autobus et il écoute
parler ses passagers. Il capte des bribes de conversations qui alimentent
son imaginaire et les poèmes qu'il écrit le soir en
rentrant chez lui, ou bien à son volant, pendant sa pause.
Ce n'est pas Paris, c'est le New Jersey. Ce n'est pas l'avenue du
Général Leclerc, ce sont des rues tranquilles d'une
bourgade americaine calme. Ce n'est pas un bus hybride, mais un vieux
bus diesel... mais, surtout, c'est un homme à son volant, un
être humain qui regarde passer sa vie, ses rêves, derrière
son pare-brise. Un homme dont on ne sait rien, un chauffeur habillé
comme les autres, anonyme dans sa machine, au regard empli de douceur
sur le monde qui l'entoure. Film à voir...
mardi 10 janvier
2017